lundi 31 mars 2014

Cet Etonnant Trou Noir le Plus Lointain

Son nom est ULAS J1120+0641, c'est une source lumineuse très très intense, on l'appelle un Quasar. Il s'agit en fait de l'émission produite par un trou noir gigantesque planqué au centre d'une galaxie. La particularité, et non des moindres, de ULAS J1120+0641, c'est sa distance. C'est le trou noir le plus lointain que l'on connaisse. Il est si loin qu'on ne comprend pas comment il peut être là, à ce moment de l'histoire de l'Univers : 13 milliards d'années-lumière... Si vous vous souvenez, j'avais relaté sa découverte ici même en juin 2011.



Image de la région de ULAS J1120+0641 (cercle blanc)
(A. Moretti et al.)
Ce qui cloche dans ce trou noir supermassif, c'est justement qu'il est déjà supermassif, avec pas moins de 2 milliards de masses solaires. Comment un trou noir a pu grossir jusqu'à cette masse en seulement 750 millions d'années (qui est l'âge de l'Univers où se trouve ce quasar) ? Les astrophysiciens n'en savent rien, c'est une véritable énigme.

Et l'énigme vient plutôt de s'épaissir encore... Une équipe d'astrophysiciens italiens emmenée par Alberto Moretti de l'Osservatorio Astronomico di Brera à Milan vient de publier une étude de l'observation en rayons X de ce quasar hors du commun. Ils ont pour cela exploité les données du télescope à rayons X XMM-Newton. L'observation fine du spectre de rayons X émise par le quasar, c'est à dire par le disque d'accrétion du trou noir supermassif, permet aux chercheurs de déterminer des paramètres fondamentaux sur le mécanisme de l'accrétion qui a lieu sur ce trou noir énorme.

Vue d'artiste d'un Quasar (ESO)
Et ce qu'ils trouvent est troublant : le trou noir est trop "normal" : la mesure de son taux d'accrétion (la vitesse avec laquelle il absorbe la matière environnante) est tout à fait semblable à celle d'autres trous noirs supermassifs beaucoup plus récents dans l'histoire cosmique. A la vitesse avec laquelle le trou noir de ULAS J1120+0641 accrète la matière qui l'entoure, il paraît absolument impossible qu'il ait pu atteindre sa masse de 2 milliards de masses solaires par ce seul moyen en si peu de temps...

Ces individus supermassifs très lointains sont hélas très peu nombreux à avoir pu être observés, et notamment en rayons X, qui seuls permettent d'obtenir des informations cruciales comme le taux d'accrétion. Les astrophysiciens misent beaucoup désormais sur Athena, le futur instrument qui viendra prendre la relève de XMM-Newton ou de Chandra, avec un imageur grand champ associé à une grande surface de collecte, et qui devrait pouvoir détecter et étudier finement une soixantaine de quasars ultra-lointains, et peut-être démêler l'énigme...


Source :
X-ray observation of ULAS J1120+0641, the most distant quasar at z = 7.08
A. Moretti et al.
Astronomy&Astrophysics 563, A46 (2014)

dimanche 30 mars 2014

La Taille des Etoiles

Tout est une question d'échelles. Les planètes, même les plus grosses sont ridicules devant les étoiles les plus petites. Et ces dernières sont minuscules face aux étoiles les plus imposantes que l'on connaisse. Pour s'en convaincre immédiatement, il suffit de regarder cette image.
Le premier objet de chaque case est le dernier de la case précédente (sinon, ça ne tiendrait jamais sur votre écran...). Le Soleil est au centre de la case 3.


vendredi 21 mars 2014

Le Trou Noir qui Dynamite, qui Disperse, qui Ventile... façon puzzle.

Le phénomène d’accrétion est au centre de nombreux phénomènes de forte luminosité. L’accrétion est ce qui se passe quand de la matière (principalement du gaz) tombe sur un objet ayant un fort potentiel gravitationnel. Cet objet peut être un trou noir ou une étoile plus ordinaire. Et dans ce processus, l’énergie de liaison gravitationnelle se retrouve transformée en énergie de rayonnement électromagnétique.



Comme la matière qui est attirée par l’objet massif possède toujours un moment angulaire (elle tourne autour de l’objet), sa chute se fait donc par une suite continue d’orbites quasi-circulaires de rayon décroissant : elle forme un disque autour de l’étoile ou du trou noir, un disque d’accrétion.

Situation du système MQ1 dans M83 (Soria et al).
Le rayonnement total d’un disque d’accrétion va dépendre du taux avec lequel la matière chute vers l’étoile ainsi que la profondeur du puits gravitationnel produit par cette étoile ou ce trou noir. Les trous noirs sont bien sûr les objets qui ont les puits de potentiel les plus profonds et se retrouvent donc être les objets ayant les disques d’accrétion les plus brillants. Les trous noirs supermassifs produisent ainsi des quasars et les trous noirs de masse solaire produisent les binaires X les plus lumineuses.

C’est sur un trou noir de masse stellaire que ce sont penché des astrophysiciens australiens et américains cette semaine dans un article paru dans Science. R. Soria et ses collègues ont observé la binaire X nommée MQ1, qui se révèle être complètement hors norme. Le modèle classique décrivant un système binaire dit qu’il existe une limite de luminosité qui ne peut pas être dépassée. Sauf que MQ1 dépasse largement cette limite, à tel point qu’il paraît nécessaire de réviser le modèle d’accrétion.

MQ1 est ce qu’on appelle désormais un microquasar. Ce petit trou noir accompagné d’une étoile pour former un système binaire, est situé dans la galaxie M83. Il a la particularité comme la plupart des microquasars, de produire des jets de matière à l’image de ce que produisent les vrais quasars, ainsi que de puissants vents sphériques, apportant une grande quantité d’énergie mécanique dans le milieu gazeux environnant. Le prototype du microquasar est un système apparaissant au sein de notre galaxie, dénommé SS433, qui produit une très belle nébuleuse gazeuse aux formes allongées (la nébuleuse W50). La vitesse des jets de matière de SS433 a été mesurée à 0,27 fois la vitesse de la lumière, et son vent sphérique, beaucoup plus modeste est expulsé à 1500 km/s. C’est le vent qui produit la forme globalement arrondie de la nébuleuse, tandis que les jets sont responsables de l’allongement longitudinal.

La nébuleuse W50 (NRAO/AUI/NSF, K. Golap, M. Goss)
MQ1 est très similaire à SS433. Sauf que sa luminosité dépasse la luminosité Eddington pour un trou noir de 10 masses solaires, qui vaut 1039 erg/s. 
Une solution envisageable pour expliquer cette luminosité extravagante est de considérer que le taux de matière qui tombe vers le trou noir est énorme, les calculs montrent alors deux conséquences : on obtient bien une luminosité décuplée, mais également un vent sphérique qui emporte alors la quasi-totalité de la matière. 

C’est comme si le flot de gaz qui tombe vers le trou noir était si important qu’il ne peut plus s’enrouler autour du trou, mais au contraire est expulsé tout autour. Et le calcul montre que pour qu’un tel phénomène apparaisse, la quantité de matière qui doit tomber vers le trou par unité de temps est gigantesque : 0,0001 masse solaire par an. Comme l’étoile compagnon semble ne faire qu’une masse de l’ordre d’une masse solaire, cela signifie qu’elle pourrait disparaître en 10000 ans seulement ! Et elle n’est donc pas absorbée par le trou noir, mais son gaz attiré rapidement vers le disque d’accrétion puis rejeté sphériquement pour former une grosse bulle gazeuse autour du trou. 

Mais en fait, rien ne dit que le processus se poursuive jusqu’à la disparition complète de l’étoile compagne. En effet, une stabilisation du système doit apparaître lorsque la masse de l’étoile compagne devient inférieure à celle du trou noir : à partir de ce moment-là, tout transfert de masse supplémentaire doit alors produire un éloignement des deux objets pour assurer la conservation du moment angulaire du système, et en s’éloignant, la quantité de matière transférée de l’étoile compagne vers le trou noir s’amenuise, menant à un état relativement stable. Il semble que MQ1 soit récemment parvenu à cette stabilité, ce qui n’est pas encore le cas pour SS433.

Ces phénomènes d’hyperaccrétion sont peut-être impliqués dans la plupart des sources X ultralumineuses (ULX), car le rayonnement de ces systèmes se trouve orienté dans la direction privilégiée de l’axe du trou noir, parallèle aux jets de matière. Il n’est pas exclu que ce qu’on appelle par défaut des ULX ne soient rien d’autre que ces types d’objets vus par chance dans leur direction d’émission privilégiée, à la manière des quasars pour les trous noirs supermassifs.


Source : 
Super-Eddington Mechanical Power of an Accreting Black Hole in M83
R. Soria et al.
Science Vol. 343 no. 6177 pp. 1330-1333  21 March 2014: 

jeudi 20 mars 2014

Les Ceintures de Van Allen Zébrées de Rayures par la Rotation de la Terre

La découverte de l'existence de ceintures de particules chargées autour de la Terre remonte à la fin des années 1950, grâce aux tous premiers satellites envoyés en orbite. Ces régions du proches espace entourant notre planète portent désormais le nom de leur découvreur américain James Van Allen.


Schéma des ceintures de Van Allen (NASA)
Mais si elles sont connues depuis plus de 50 ans, les ceintures de Van Allen, qui nous protègent du rayonnement cosmique en le déviant grâce au champ magnétique qu'elles produisent, recèlent pourtant toujours certains mystères. 
C'est pour les étudier en détails que deux sondes jumelles sont actuellement en orbite et c'est grâce à ces sondes, appelées simplement Van Allen 1 et 2, parcourant la ceinture interne à 13000 km d'altitude, que des structures très curieuses viennent d'être mises en évidence.

Une des questions qui restent toujours en suspens concerne la nature des ceintures interne et externe (car il y en a deux). On sait que la ceinture interne est peuplée d'électrons se déplaçant à une vitesse proche de celle de la lumière, et que la ceinture externe comporte surtout des protons eux aussi énergétiques mais en moins grand nombre. Mais on n'en sait guère plus.

Les sondes Van Allen sont toutes les deux munies d'un instrument de mesure appelé RBSPICE (Radiation Belt Storm Probes Ion Composition Experiment), qui a pour but d'enregistrer le nombre d'électrons rencontrés en fonction de leur énergie et de leur distance radiale de la Terre. 
La découverte qu'ont faite A. Ukhorskiy et ses collègues de l'Université Johns Hopkins fait l'objet d'un article dans la revue Nature de cette semaine. Ils observent, lorsqu'ils tracent les graphes de l'intensité des électrons en fonction de leur distance et de leur énergie, que des structures en formes de rayures apparaissent. 


Flux d'électrons mesurés (à gauche) et modélisés (à droite)
en période calme (en haut) et par fort vent solaire (en bas)
(Ukhorskiy et al.)
Alors qu'on pensait auparavant que de telles variations régulières et très structurées ne pouvaient être dues qu'à des variations locales induites par des orages magnétiques (éruptions solaires), les auteurs observent toujours ce type de distribution quand l'intensité du vent solaire est très faible, et elles sont même plus développées par "temps calme".

Le développement d'une modélisation complète des phénomènes a alors permis aux physiciens de démontrer que les formes observées sont produites par la rotation de la Terre. 
Les électrons de la ceinture de Van Allen sont confinés par le champ magnétique terrestre qui agit comme un dipôle magnétique, où ils subissent une lente dérive longitudinale autour de la planète du fait du gradient et de la courbure du champ magnétique. Et la rotation de la Terre induit des variations diurnes globales de ses champs magnétique et électrique qui interagissent en résonance avec les électrons, dont la période de dérive est très proche de 24 heures. Il s'ensuit une modification des flux d'électrons sur une large plage d'énergie en formant un motif régulier composé de plusieurs bandes et rayures sur la totalité de la ceinture interne.

Ces nouvelles données vont permettre aux planétologues d'affiner grandement leurs concepts de dynamique des ceintures de radiation. Ces résultats vont également mettre en lumière la nature de la dynamique des ceintures d'autres planètes comme Jupiter, Neptune et Uranus car ces planètes possèdent toutes une période de rotation très courte et un écart important entre leur axe de rotation et leur axe dipolaire magnétique (à l'inverse de Saturne).


Source :
Ukhorskiy, A., Sitnov, M., Mitchell, D., Takahashi, K., Lanzerotti, L., & Mauk, B. (2014). Rotationally driven ‘zebra stripes’ in Earth’s inner radiation belt Nature, 507 (7492), 338-340 DOI: 10.1038/nature13046

mardi 18 mars 2014

La Lune Comme Vous ne l'Avez Encore Jamais Vue.


NASA/GSFC/Arizona State University
Ce que vous voyez là, c'est bien la Lune, mais vue "du dessus". La NASA vient de réaliser cette image très étonnante de la Lune en assemblant de très nombreuses images produites par la sonde Lunar Reconnaissance Orbiter (LRO). Chaque pixel représente une surface de 2 m par 2 m. Voilà donc à quoi ressemble le pôle Nord de notre cher satellite.

Cette mosaïque a été construite à partir de pas moins de 10581 images individuelles. La NASA propose en outre une carte interactive pour se balader litteralement autour de ce pôle Nord, allez donc vous y perdre un instant, c'est ici :   http://lroc.sese.asu.edu/gigapan


Découverte des Premières Ondes Gravitationnelles de l'Univers et Confirmation de l'Inflation !

C'est une découverte majeure qui vient d'être annoncée ce lundi 17 mars au Harvard Smithonian Center for Astrophysics à Cambridge, MassachussetsIl s'agit de la mise en évidence observationnelle de l'Inflation, et cette prouesse a pu être effectuée grâce à la détection indirecte d'ondes gravitationnelles primordiales, ce qui constitue une autre découverte exceptionnelle.


L'inflation est une époque de l'Univers imaginée théoriquement aux environs de 1980 (indépendamment) par le russe Andrei Linde et l'américain Alan Guth. Cette très brève période dans l'histoire de l'Univers, dominée par la gravitation quantique a commencé 10-35 s après le "temps zéro". Au cours de l'inflation, l'Univers a subi une expansion brutale et inimaginablement énorme (d'un facteur au moins de 1026...).

Schéma de l'évolution de l'Univers  (Harvard Center for Astrophysics)
L'inflation permet d'expliquer les observations à grande échelle de l'Univers : pourquoi il apparaît si isotrope, comme si deux points extrêmement éloignés avaient pu être en contact causal dans des temps reculés, pourquoi la géométrie de l'espace-temps semble "plate", ce qui n'a rien d'évident a priori, et pourquoi la répartition des fluctuations du fond diffus cosmologiques sont telles qu'elles sont, avec une plus forte quantité aux petites échelles (présence d'un pic caractéristique dans le spectre de puissance).
Bien que ces éléments observationnels tendent tous à confirmer la réalité de l'inflation, il restait toujours la possibilité d'autres modèles d'évolution produisant les mêmes phénomènes sans avoir recours à l'inflation

Le détecteur BICEP2
(Harvard Smithonian Center for Astrophysics)
Mais l'une des prédictions des théoriciens de l'inflation est qu'elle doit produire un rayonnement d'ondes gravitationnelles à cause des fluctuations quantiques de l'Univers primordial. Les ondes gravitationnelles sont, comme leur nom l'indique, des ondes, mais des ondes un peu particulières, on peut se les figurer comme étant une sorte de vibration de l'espace-temps. Les ondes gravitationnelles furent proposées par Albert Einstein lui-même et sont la dernière prédiction de la relativité générale non encore confirmée expérimentalement. Le rayonnement d'ondes gravitationnelles dites primordiales, est une signature sans équivoque de l'existence d'une ère inflationnaire.

La détection des ondes gravitationnelles, notamment celles que doivent produire des couples de trous noirs ou d'étoiles à neutrons est un champ de recherche très actif, nous avons déjà parlé ici (on peut citer les grands détecteurs interférométriques VIRGO et LIGO notamment). Concernant les ondes gravitationnelles primordiales, celles qui sont produites au cours de l'ère inflationnaire, le moyen pour parvenir à les détecter est très différent puisqu'il est indirect. Il faut pour cela observer en très grand détail le rayonnement de fond micro-onde (le fond diffus cosmologique, ou CMB, cosmic microwave background).
Les ondes gravitationnelles primordiales de l'inflation vont se trouver former une sorte de fond de rayonnement gravitationnel (ou CGB, cosmic gravitational background) et se fond d'ondes gravitationnelles va influer sur le rayonnement du CMB en modifiant sa polarisation

La signature des ondes gravitationnelles primordiales sur le rayonnement du CMB a la particularité d'être unique. Elle produit une polarisation particulière qu'on appelle une polarisation de mode-B. Détecter sans équivoque la présence d'une polarisation de mode-B dans le rayonnement du fond diffus cosmologique induit de facto l'existence du fond d'ondes gravitationnelles primordiales, qui à son tour confirme l'existence d'une ère d'Inflation dans l'Univers primordial...

Installation de BICEP2 , à droite (Harvard CFA)
Les physiciens américains qui ont fait cette annonce cet après-midi exploitent un télescope dédié à l'observation du fond diffus micro-onde, qui est situé en Antarctique, à la base Amudsen-Scott. 
Leur système de détection appelé BICEP2/Keck Array (Background Imaging of Cosmic Extragalactic Polarizationest composé de plusieurs dizaines de petits récepteurs refroidis à des températures cryogéniques (ce qu'on appelle des bolomètres).
Il permet de mesurer le rayonnement du CMB avec une très bonne précision, même si il ne cartographie pas tout le ciel comme le fait le satellite Planck
En revanche, BICEP permet d'obtenir la valeur de polarisation de mode-B avec une bien meilleure précision que ce que peut obtenir Planck (dont les physiciens sont également en train d'analyser le signal pour la mesure de la polarisation de mode B et doivent publier leurs résultats dans les semaines qui viennent...). 

Il existe tout de même une seconde source de polarisation du rayonnement du CMB en mode-B : le phénomène de lentille gravitationnelle qui est produit par les galaxies massives, nombreuses dans le champ de vue observé.
Mais les physiciens américains de la collaboration BICEP parviennent à nettoyer le signal de polarisation très efficacement, et obtiennent des résultats fantastiques en isolant la polarisation de mode-B primordiale.

Cette avancée exceptionnelle fournira pourquoi pas des idées au comité Nobel concerné, soit pour ces expérimentateurs de l'extrême des années 2010, soit pour les théoriciens de l'extrême des années 1980... Ou pourquoi pas les deux, un pour l'Inflation, un second pour les ondes gravitationnelles primordiales, soyons fous ! Le visage de l'Univers vient de changer.

dimanche 16 mars 2014

Un Ciel Plein d'Etoiles


A voir, à revoir, et revoir encore... Excellent film documentaire.

Sepideh, un ciel plein d'étoiles, de Berit Masden

mercredi 12 mars 2014

Découverte d'une Etoile Hypergéante Jaune Exotique : HR 5171A

Des comme ça, on n'en voit pas tous les jours... Des étoiles géantes, il y en a, des supergéantes aussi, de diverses couleurs d'ailleurs, mais des hypergéantes jaunes, il y en a vraiment peu. Et des hypergéantes jaunes qui fusionnent avec leur étoile compagne, c'est plus que rare. Et c'est un tel objet qui a pu être mis en évidence dans une étude très récente qui vient de paraître. 

Vue d'artiste de l'étoile hypergéante jaune HR 5171A (ESO)
Le monstre, car c'en est un, s'appelle HR 5171A, c'est une étoile très rare. Sa taille est monstrueuse, avec un diamètre égal à 1300 fois celui de notre soleil, bien petit à côté. Elle est située à 12000 années-lumières de la Terre, pas très loin donc, et est bien brillante (1 million de fois plus lumineuse que le soleil), on peut la voir à l’œil nu avec un bon ciel et un oeil exercé (magnitude variant entre 6,1 et 7,3), dans la constellation du Centaure dans l'hémisphère Sud.

Une telle supergéante jaune devrait avoir "normalement" un diamètre qui n'excède pas 700 fois le diamètre du soleil...

HR 5171A est donc ce qu'on appelle une hypergéante jaune, une classe très rare d'étoile, puisqu'on en connait seulement 14 en tout et pour tout dans toute notre galaxie. Il s'agit d'un stade très court dans l'évolution des étoiles géantes. Sa taille hors norme en fait l'une des dix étoiles les plus grosses que l'on connaisse. Mais ce qui fait de plus sa grande étrangeté, c'est que HR 5171A, d'après l'étude effectuée par l'astronome français Olivier Chesneau de l'Université de Nice Sofia Antipolis et du CNRS et ses collègues, est accompagnée d'une autre étoile, plus petite, et cette dernière, qui lui tourne autour en 1300 jours, est tellement proche du monstre qu'elle la touche! Les deux étoiles sont en contact, ce qui fait que l'on n'est plus en présence de deux boules de gaz à environ 5000 degrés, mais un objet un peu en forme de cacahuète.

Ce système binaire exotique a pu être observé grâce au Very Large Telescope (VLT) de l'Observatoire Européen Austral (ESO) situé dans les Andes Chiliennes, en utilisant la technique de l'interférométrie, technique qui consiste à combiner la lumière reçue par différents télescopes, ce qui revient à avoir un miroir équivalent de beaucoup plus grand diamètre que la somme des miroirs utilisés (140 m dans ce cas!).

L'autre point étonnant est que, HR 5171 étant une étoile brillante connue depuis longtemps, des relevés de luminosité ont été comparés au fil des années et il a pu être montré que cette hypergéante est très instable sur une durée aussi faible (à l'échelle cosmique) que 60 ans. Elle a grossit et s'est refroidie dans ce laps de temps très court.

HR 5171A (European Southern Observatory)
Les hypergéantes jaunes sont des étoiles très instables, elles montrent ainsi de brutales variations de luminosité, de température et de taille, qui sont associées à des périodes d'expulsion d'une partie de leur enveloppe ce qui produit une sorte d'atmosphère dense assez étendue autour de l'étoile.
Pouvoir observer la brusque variation de température associée à une telle phase stellaire évolutive extrêmement rapide est très rare.

Cette nouvelle découverte souligne l'importance d'étudier ce type d'étoiles exotiques ayant une courte durée de vie. Elles peuvent nous permettre de mieux comprendre les processus qui gouvernent l'évolution des étoiles massives.


Référence : 

The yellow hypergiant HR 5171 A: Resolving a massive interacting binary in the common envelope phase
O. Chesneau et al.

mercredi 5 mars 2014

Mesure de la Vitesse de Rotation d'un Trou Noir très Distant

Il y a tout juste un an, je vous expliquais comment les astrophysiciens arrivaient à mesurer la vitesse de rotation de trous noirs en analysant le spectre en énergie des rayons X qui sont produits dans le disque d'accrétion du trou noir. 



Un an plus tard, cette belle méthode a à nouveau porté ses fruits sur le cas d'un trou noir supermassif produisant un quasar. Ce quasar nommé RX J1131 est situé à 6 milliards d'années-lumière et c'est simplement le trou noir (supermassif) le plus lointain sur lequel a pu être appliqué cette méthode.
RX J1131 formant une suite de quatre images en cercle
autour de la galaxie lentille, image composite rayons X et optique
 (NASA/CXC/Univ of Michigan/R.C.Reis et al; NASA/STScI)
Rappelons que la méthode en question repose sur une analyse de la répartition de l'énergie des rayons X en provenance du voisinage du trou noir (le disque de matière surchauffée qui lui tourne autour, appelé le disque d'accrétion). Cette analyse du spectre des rayons X permet aux astrophysiciens de déterminer la distance qui sépare la frontière interne du disque d'accrétion de l'horizon des événements du trou noir, la frontière du trou, à partir d'où les photons ne peuvent plus revenir. Cette analyse est rendue possible grâce aux distorsions produites dans le spectre par le champ gravitationnel.

De cette distance entre l'intérieur du disque d'accrétion et l'horizon du trou noir, on en déduit directement (en appliquant les équations de la relativité générale) la vitesse de rotation que doit avoir le trou noir. Plus le disque d'accrétion est proche de l'horizon, plus le trou noir tourne vite.

La particularité de l'observation de RX J1131, qui fait l'objet d'un article cette semaine dans la revue Nature, c'est que le quasar (galaxie rendue active par l'émission de son trou noir supermassif) est très loin et c'est grâce au phénomène (relativiste) de lentille gravitationnelle qu'il a pu être assez aisément observé avec Chandra X-Ray Observatory et XMM Newton. Une grosse galaxie se trouve en fait entre le quasar et nous, et la lumière du quasar est défléchie par la galaxie intercalée pour se retrouver former plusieurs images (quatre dans notre cas) amplifiées de RX J1131 avec pour chacune un spectre différent.

Ce que trouvent Rubens Reis de l'Université du Michigan et ses collègues, qui signent cette étude, c'est un disque d'accrétion qui s'approche à une distance égale à trois fois le rayon de l'horizon du trou noir, ce qui donne, pour que le disque survive à une telle distance, une vitesse de rotation supérieure à 50% de la vitesse de la lumière!...

Connaître la vitesse de rotation des trous noirs est importante pour comprendre comment ces trous noirs supermassifs qui se trouvent au centre des galaxies se forment. Soit ils acquièrent de la masse provenant d'un peu partout autour d'eux, soit ils sont issus de fusions de trous noirs plus petits. Dans le premier cas leur vitesse de rotation devrait être assez faible, et dans le second plutôt grande. L'observation des rayons X de RX J1131 tend à montrer que ce trou noir est dans le second cas.
Les plus lointains trous noirs dont la vitesse de rotation a pu être estimée précédemment se situaient respectivement à 2,5 et 4,7 milliards d'années-lumière. Il est également fondamental de connaître comment évoluent les vitesses de rotation des trous noirs supermassifs en fonction du temps cosmique, pour notamment savoir si ils grossissent au même rythme que celui de leur galaxie hôte, ce qui s'apparente au problème bien connu de l’œuf et de la poule.


Source :
Reflection from the strong gravity regime in a lensed quasar at redshift z = 0.658
R. C. Reis et al.
Nature Online (05 March 2014)

dimanche 2 mars 2014

Le Plot d'Exclusion de SuperCDMS qui Tue les WIMPs de Faible Masse

L'histoire des sciences, ou au moins l'histoire de la physique des astroparticules, retiendra que c'est le 28 février 2014 que l'hypothèse des WIMPs de faible masse pour expliquer la matière noire est morte. C'est en effet il y a trois jours, ce 28 février, au cours de la conférence Dark Matter 2014 qui se tenait à UCLA en Californie que Lauren Hsu de la collaboration américaine SuperCDMS, a dévoilé les nouveaux résultats de cette expérience de recherche directe de WIMPs. 



La collaboration SuperCDMS exploite des détecteurs cryogéniques de germanium permettant de détecter les éventuels collisions de WIMPs avec les noyaux de germanium. Les résultats obtenus par les américains (et quelques collègues anglais et français) sont tout à fait inédits, car ils permettent d'explorer une zone de l'espace [masse-section efficace] encore inexploré par les nombreuses expériences cherchant la même chose et s'avère être très exclusifs...

Mais il faut revenir un instant sur ce que c'est que cet espace que j'appelle l'espace [masse-section efficace]. La recherche d'événements produisant un signal dans les détecteurs, permettent de déduire deux paramètres clés concernant les particules impactantes : leur masse (grâce à l'énergie qui est déposée dans le détecteur) et leur probabilité d'interaction avec le matériau détecteur, ce qu'on appelle la section efficace d'interaction, et qui est déduite du nombre d'interactions observées en fonction de la masse du détecteur et du temps que l'on a utilisé pour compter ces événements d'interaction.
Lorsqu'on ne détecte aucune collision de WIMP dans un détecteur, on peut construire ce qu'on appelle un "plot d'exclusion". Ce "plot d'exclusion", comme son nom l'indique, trace une zone exclue dans le graphe ayant pour abscisses la masse de WIMPs et en ordonnée la section efficace. En effet, quand on ne détecte rien, cela veut dire que la WIMP (qu'on n'a pas vue) doit donc avoir une probabilité d'interagir, pour une masse donnée, plus faible que celle qui aurait fait qu'on aurait vu du signal avec le détecteur utilisé et le temps de comptage appliqué.
On a donc une courbe dans le plot masse-section efficace, la zone exclue se trouvant au dessus, et la zone encore potentiellement intéressante et à explorer se situant en-dessous. On parle de courbe d'exclusion.
Le plot d'exclusion montré par Lauren Hsu lors de la conférence Dark Matter 2014 (SuperCDMS Collaboration)
L'expérience la plus performante est bien sûr celle qui parvient à exclure la plus grande zone de l'espace [masse-section efficace], jusqu'à trouver un signal...
Et justement, quand des événements apparaissent dans les signaux détectés, avec toutes les caractéristiques de WIMPs, comme ce fut le cas pour différentes expériences ces quelques dernières années, et bien la courbe d'exclusion devient une inclusion, elle se referme sur elle-même pour montrer une "zone" dans le plot bi-paramétrique, avec des frontières à la fois vers le bas et le haut, à droite et à gauche. Les WIMPs potentiellement détectés se retrouvent avec une certaine plage de masses possibles associée à une certaine plage de sections-efficaces.
Les différentes expériences de recherche directe de matière noire donnent toutes leurs résultats sous forme de plots d'exclusion (ou zones d'inclusion). Qui plus est, la plupart ont pris l'habitude au cours des ans de fournir non seulement leur propre courbe d'exclusion dans le plot [masse-section efficace], mais aussi de superposer les courbes d'exclusion des autres expériences concurrentes, histoire de comparer les performances des uns et des autres...

L'expérience LUX, très performante, a produit en 2013 un grand saut dans le domaine, nous en avons parlé abondamment ici. Leur courbe d'exclusion est descendu très bas (dans l'axe des sections efficaces), beaucoup plus bas que toutes les autres expériences semblables, excluant de fait une vase zone de l'espace (masse-section efficace), et excluant du coup des résultats positifs d'autres expériences (des zones).

La collaboration SuperCDMS (CDMS collaboration, University of Berkeley)
Ce que vient de montrer l'expérience SuperCDMS il y a trois jours est une nouvelle courbe d'exclusion. Certes, elle ne descend pas aussi bas que celle de LUX, loin s'en faut. Mais elle est la deuxième plus basse et elle est surtout meilleure que celle de LUX dans un autre sens : celui de l'axe des abscisses, vers la gauche, les basses masses de WIMPs! SuperCDMS vient confirmer les résultats de LUX de l'année dernière, avec une technologie très différente.

Aucune expérience avant SuperCDMS n'a été capable de montrer une telle courbe d'exclusion descendant aussi bas en termes de masses de WIMP pour des sections efficaces aussi faibles Et cette nouvelle courbe exclut de fait définitivement toutes les zones déterminées depuis quelques années par les expériences DAMA, CRESST, COGeNT, et ... CDMS II-Si. Plusieurs de ces zones avaient semé le trouble car étant très proches dans le plot, se chevauchant mêmes pour deux d'entre elles (CoGENT et CDMS II-Si), ce qui avait donné des espoirs fous aux physiciens concernés.
Il est également notable qu'une partie des physiciens de SuperCDMS sont les mêmes qui ont produits les résultats de CDMS-Si, ce qui signifie qu'ils viennent simplement d'exclure leurs propres résultats antérieurs, reconnaissant en quelque sorte leur erreur.
Un des détecteurs composant l'expérience SuperCDMS (CDMS coll.)

Là où pouvait persister un doute sur l'exclusion de COGeNT et CDMS-Si annoncée par LUX, c'est dans le fait que les détecteurs étaient très différents (semi conducteurs germanium et silicium pour les deux premiers et xénon liquide pour le dernier), mais il se trouve que là, SuperCDMS utilise exactement le même type de matériau que COGeNT et CDMS-Si...

On peut dire aujourd'hui que l'hypothèse, née il y a environ quatre ans, d'être en présence de WIMPs de relativement faible masse (de l'ordre de 10 GeV) a maintenant beaucoup beaucoup de plomb dans l'aile, pour ne pas dire qu'elle devrait être définitivement abandonnée. Il reste maintenant à essayer de comprendre d'où vient ce signal détecté qui ressemble tellement à des reculs de noyaux atomiques impactés par des WIMPs, ainsi que cette modulation de l'intensité du signal au cours de l'année, telle qu'elle a pu être observée.

On doit pouvoir affirmer que les résultats exclusifs combinés de LUX de l'année dernière avec ceux de SuperCDMS aujourd'hui font en général des WIMPs une solution pour la matière noire de moins en moins convaincante...

Sources : 

La présentation de Lauren Hsu à Dark Matter 2014:

Le papier accompagnant la présentation :