samedi 27 septembre 2014

Les Instruments Scientifiques de PHILAE

Philae, vous allez souvent entendre ce nom dans les semaines qui viennent, avec un paroxysme le 12 novembre, date à laquelle cette petite sonde atterrira sur la comète Churyumov-Gerasimenko. Philae est le petit atterrisseur que la sonde Rosetta va envoyer à la surface de la comète au nom imprononçable, autour de laquelle elle s'est mise en orbite à plus de 1 milliard de kilomètres de la Terre. 



Les instruments scientifiques de Philae (ESA).
La raison pour laquelle les planétologues ont décidé de poser une petite sonde sur une comète est simple : on veut savoir de quoi sont faites les comètes, ces objets qui existent depuis le début du système solaire sans avoir trop évolué, qui sont des vestiges de notre système solaire, vieux de plus de 4 milliards d'années. Nous voulons tout savoir sur les comètes, car elles peuvent être comme une pierre de Rosette pour notre compréhension de la formation de notre système solaire, et par extension de tous les systèmes stellaires...

Et Philae est une toute petite sonde de 100 kg à peine, avec un volume un peu plus petit que 1 mètre cube, mais littéralement bourrée de technologie. Car Philae doit analyser la comète Churyumov-Gerasimenko (alias 67P) in situ. Il n'est pas question de rapporter des échantillons, tout doit se faire sur place. Je vous propose de partir à la découverte de tous les instruments high tech emportés par Philae, qui ont été imaginés et développés il y a maintenant plus de 15 ans...
Ces instruments scientifiques sont au nombre de 10 et vont exploiter de nombreux paramètres physiques : la lumière émise, absorbée, et diffusée, la conductivité électrique, le champ magnétique, la chaleur ou encore les ondes acoustiques, pour étudier de nombreuses propriétés de la comète, on peut citer la morphologie et la composition chimique du matériau de surface, la structure interne du noyau cométaire, ou encore les gaz ionisés au dessus de la surface. Philae est en outre muni d'un bras pouvant emporter un instrument, et a la possibilité de pivoter sur lui-même sur 360°.


Listons ces instruments plus en détail : 

Tout d'abord, nous avons deux imageurs : CIVA et ROLIS. CIVA est en fait un ensemble de trois systèmes de caméras, CIVA-P est un système multiple de prises de vues panoramiques, situés tout autour de Philae et permettant de surveiller les alentours de l'atterisseur, notamment dans la phase d'atterrissage. CIVA-M/V est un imageur en trois couleurs ayant une résolution microscoscopique (7 µm), et CIVA-M/I, quant à lui est un imageur infra-rouge qui observera les échantillons avant qu'ils soient envoyés dans les fours de COSAC et PTOLEMY (voir plus loin).
ROLIS, lui, est un imageur unique, il couvre un champ de vue de 57° est est situé à l'aplomb immédiat de Philae. Son objectif est de vérifier ce qui se passe exactement en dessous du module durant sa descente vers la comète. Mais une fois posé, ROLIS continuera à prendre des images de la surface en mode spectroscopique. Et comme il n'est pas situé au centre de l'atterrisseur, il pourra étudier une zone circulaire sous Philae, lorsque ce dernier produira des rotations autour de son axe.

Le détecteur Alpha Proton X-ray Spectrometer (APXS) de Philae
Inst. for Inorganic Chemistry & Analytical Chemistry,
Max-Planck Institute for Chemistry)
Puis, nous avons un instrument incontournable pour toute sonde ayant pour objectif d'analyser un matériau, quel qu'il soit : APXS (Alpha Proton X-ray Spectrometer). Comme son nom l'indique, APXS est un spectromètre qui exploite différents types de rayonnements. Il contient une source radioactive de curium-244, qui est un puissant émetteur alpha. L'émission de rayons alpha vers le sol va permettre de connaitre sa nature en mesurant les rayonnements qui reviennent vers la source d'émission.
Ces rayonnements peuvent être de trois sortes : premièrement des rayons alpha qui se trouvent rétrodiffusés par des noyaux d'atomes possédant à peu près la même masse que le noyau d'hélium (de l'hydrogène au béryllium en gros), deuxièmement des protons, lorsque les rayons alpha interagissent avec des noyaux un peu plus gros, des protons peuvent être éjectés, et être mesurés. Enfin, des rayons X, lorsque les rayons alpha ont ionisés des atomes et que les couches électroniques des atomes en questions se réorganisent en produisant instantanément des rayons X, dont l'énergie particulière est une signature sans équivoque du type d'atome qui lui a donné naissance.

Vient ensuite un instrument peu commun sur les sondes planétaires : CONSERT (COmet Nucleus Sounding Experiment by Radio wave Transmission). Son objectif est de déterminer la structure interne de la comète en mesurant comment se transmettent des ondes radio à travers le noyau cométaire. Des ondes radio sont émises par Philae et reçues par Rosetta en orbite et inversement. L'atténuation des signaux radio est ensuite disséquée par des algorithmes très élaborés et c'est alors la comète qui s'en trouve disséquée...

Parlons ensuite de MUPUS (Multi-Purpose Sensor for Surface and Subsurface Science). MUPUS doit étudier les propriétés mécaniques et thermiques du sol cométaire jusqu'à une profondeur de 30 cm. Pour cela, il est muni d'un pénétrateur qui est une sorte de gros marteau devant taper un gros coup pour enfoncer l'instrumentation composée de thermomètres qui seront situés à différentes profondeurs, et d'un accéléromètre. Au niveau de la surface du sol, MUPUS sera équipé d'un radiométre, sorte de thermomètre pour mesurer la température via le rayonnement infra-rouge.

Il y a un autre instrument sur Philae qui va creuser des trous, c'est SD2 (Sample Drill and Distribution). Son but est de carotter le sol sur une profondeur maximale de 20 cm. Les échantillons prélevés, de quelques millimètres cube seulement, sont ensuite distribués à d'autres instruments pour analyse (notamment COSAC et PTOLEMY). Précisons que les zones à forer par SD2 seront déterminées auparavant par les données issues de ROLIS et APXS. 

COSAC et PTOLEMY, parlons-en, tiens. COSAC, de son vrai nom Cometary Sampling and Composition est ce qu'on appelle un chromatographe en phase gazeuse. Il analyse la nature des atomes ou molécules d'un gaz grâce à un spectromètre de masse, qui trie les molécules par leur masse respective. Il sera très utile notamment pour l'étude des molécules organiques, qui devraient être nombreuses à la surface de 67P (j'utilise son pseudo, pardon).

PTOLEMY, lui, est également un analyseur de gaz, mais dédié principalement à la quantification des isotopes d'un élément donné. Un point essentiel sera l'analyse du carbone contenu dans le comète, et les ratios des isotopes carbone-12, carbone-13 et carbone-14, qui permettront de savoir beaucoup de choses sur l'histoire de la comète.
Ces deux analyseurs ont en commun qu'ils analysent du gaz, ce qui veut dire que les échantillons fournis par SD2 devront au préalable être chauffés dans des petits fours pour en extraire le gaz à analyser.
Les analyseurs COSAC (intégré sur Philae, à gauche) et PTOLEMY (au labo, à droite) (ESA)

SESAME (Surface Electrical Sounding and Acoustic Monitoring Experiment). En fait, sous ce nom unique se cachent trois instruments d'analyse acoustique et électrique. Le premier d'entre eux s'appelle SESAME-CASSE, il est tout à fait original dans le sens où il est positionné sur chacun des pieds de Philae et va émettre et écouter des sons (dans la gamme audible), c'est un peu le chant de Philae. Un pied émet un son et les autres écoutent l'écho de ce son en provenance de l'intérieur de la comète et ainsi de suite à tour de rôle. Mais SESAME-CASSE fonctionnera aussi en mode silencieux, juste à l'écoute des craquements internes de la comète...
Le deuxième élément de SESAME s'appelle SESAME-PP, c'est un instrument visant à mesurer la permittivité électrique du sol cométaire, toujours via les pieds de la sonde.
Le troisième sous-système de SESAME est le SESAME/DIM (Dust Impact Monitor). Son objectif est de mesurer très précisément les grains de poussière venant impacter l'atterrisseur, grâce à un détecteur piézoélectrique. Il pourra compter le nombre de grains de poussière ayant une taille de 1 µm à 6 mm de diamètre, et une vitesse comprise entre 0,025 et 0,25 m/s.

Enfin, nous terminons ce tour de Philae par l'instrument ROMAP (Rosetta Lander Magnetometer and Plasma). ROMAP est là encore un détecteur multiple composé de trois appareils différents : un magnétomètre, qui mesurera très finement le champ magnétique de 67P (si il y en a un), avec une sensibilité de 1 centième de nanotesla. Ensuite, un moniteur de plasma, ROMAP/SPM, qui va mesurer la densité, l'intensité, et la direction des électrons et des particules légères chargées au niveau du sol de la comète. Ce gaz ionisé n'est rien d'autre que le gaz relâché par la comète qui se trouve ionisé par le rayonnement UV du soleil, et qui va former la belle chevelure de la comète à son approche du Soleil. Enfin, ROMAP contient également un capteur de pression, pouvant mesurer une pression de l'ordre de 1 milliardième de la pression atmosphérique...

Tous ces instruments de haute technologie ont été développés spécifiquement pour cette mission, et ont du être adaptés aux contraintes de masse, de taille et de puissance électrique consommée, qui ont été, on s'en doute, extrêmement difficiles à concevoir et mettre en oeuvre. 
L'enjeu est de taille, au delà des planétologues, les scientifiques du monde entier attendent beaucoup des résultats qui seront obtenus grâce aux instruments de Philae. Le 12 novembre prochain sera un jour crucial. Il faut que l'atterrissage de Philae se passe bien...


source:
Rosetta’s Philae Lander: A Swiss Army Knife of Scientific Instruments
T. Reyes 
Universe Today  september 22, 2014

2 commentaires :

Pascal a dit…

Dans le cadre de la problématique de l'origine de l'eau terrestre, Ptolemy mesurera-t-il le rapport D/H ? A propos de D/H, que penser du récent article de Cleeves sur l'origine des molécules d'eau solaires, ses conclusions paraissent assez fragiles?

Dr Eric Simon a dit…

Oui, il est prévu que Ptolemy mesure des ratios D/H (ou D2O/H2O), notamment pour comparer avec les ratios de l'eau terrestre. Il est adapté pour l'analyse des isotopes des éléments légers, H, C, O, N essentiellement, et les nombreuses molécules faites de ces briques fondamentales.
Au sujet du papier de Cleeves paru dans Science, il s'agit d'une simulation de l'évolution chimique au sein du système solaire, leur modèle ne parvient pas à fabriquer de l'eau lourde dans les quantités que l'on observe sur Terre, ils en déduisent donc que cette eau était présente avant le soleil. Un résultat de simulation est toujours assez fragile sans contrepartie observationnelle ou expérimentale. Mais ça ne me choquerait pas outre mesure qu'une partie des molécules d'H2O étaient là dans le nuage moléculaire qui a donné naissance au soleil et à notre système.Je n'ai pas évoqué cette étude ici car pour moi, c'est un peu une non-information. H et O sont très abondants dans les nuages gazeux et H2O est la molécule la plus simple à faire avec ces deux atomes...