dimanche 7 juillet 2013

De La Matière Noire Détectée Sans le Savoir ?

A écouter !

Dan Hooper est un physicien théoricien qui aime beaucoup la matière noire. Il l'aime tellement, il y croit tellement, pourrait-on dire, qu'il en est sûr, non seulement elle existe sous forme de WIMPs, mais en plus il arrive à en détecter là où les physiciens expérimentateurs ne la voient pas dans leurs données... Et il donne même la masse (et la section efficace) de la particule tant recherchée avec une précision assez déconcertante : entre 7 et 10 GeV.

Reprenons.
A ce jour, quatre expériences ont vu des événements compatibles avec des interactions de WIMPs dans leurs détecteurs, tout d'abord les italiens de DAMA, qui le clame depuis 2002 déjà, mais avec des méthodes semble-t-il controversées (encore que...). Ensuite les américains de l'expérience CoGENT en 2010, puis se fut le tour des allemands de CRESST en 2011. Enfin, très récemment, d'autres américains, avec l'expérience CDMS-Si.
Dan Hooper (Fermilab)
Toutes ces expériences de recherche directe de matière noire ont un point commun : les événements observés impliqueraient des WIMPs de faible masse, inférieure à 10 GeV, alors que la plupart des expériences étaient optimisées depuis des années pour chercher des particules aux environs de 50 à 100 GeV. 
Et le fait notable c'est aussi que toutes ces expériences utilisent des détecteurs de type différents : scintillateur NaI, germanium semiconducteur, scintillateur bolométrique en tungstate de calcium, et bolomètre silicium, respectivement.
Même si la plage de masse obtenue est à peu près la même, il reste des incohérences entre les différents résultats. Deux seulement se recoupent partiellement : ceux de CoGENT et de CDMS-Si. Mais il faut savoir que les trois interactions observées par CDMS-Si n'ont pas été clamées comme découverte par leurs auteurs, qui sont peut-être trop prudents.

Les physiciens de CoGENT, eux, sont sans doute un peu moins prudents. Il ont réanalysé en 2012 les données de l'expérience CDMS mais avec l'autre partie des détecteurs de CDMS, ceux en germanium et non plus en silicium. Et vous devinez ce qu'ils obtiennent ?  Des événements compatibles avec des interactions de WIMPs, et qui sont cohérents également à la fois avec ceux de CoGENT, et les récents de CDMS-Silicium...

Il y a encore mieux. Les quatre expériences mentionnées étaient toutes rejetées par une cinquième, qui les excluait toutes, il s'agit de XENON100, dont les résultats nuls avec un détecteur à base de xénon liquide permettaient de tracer une courbe d'exclusion qui rendait impossible la véracité des revendications des autres expériences. 
Le détecteur XENON100 (XENON Collaboration)
Vous avez sans doute noté que j'écris à l'imparfait. Car Dan Hooper, physicien très respecté du fameux Center for Particle Astrophysics au Fermi National Accelerator Laboratory vient de publier sur le site de preprints Arxiv une réanalyse des données de XENON100 (La réanalyse de données indépendante à tendance à devenir monnaie courante, et ce n'est pas pour nous déplaire).

D'une manière assez magistrale, Hooper nous montre que les deux événements situés dans la zone d'intérêt et qui avaient été estimés être du bruit de fond par les physiciens de XENON100 (ils avaient calculé qu'il devrait y avoir au maximum 1,2 événements de bruit de fond), possèdent en fait des caractéristiques très anormales.

Déjà, le bruit de fond attendu devait avoir une probabilité de 80% d'être constitué de reculs d'électrons et pour 20% d'interactions de neutrons. En étudiant attentivement la réponse de scintillation de ces deux interactions, Hooper trouve que ça ne ressemble pas du tout à des reculs d'électrons. La probabilité se réduit donc d'autant, ils ne seraient donc pas des électrons, et il resterait 3.5% pour que ces deux événements soient des neutrons.

Ensuite, Hooper observe qu'une caractéristique du signal de ces deux événements (le ratio de l'amplitude du signal S2/S1) est bien plus faible que celui qui est mesuré expérimentalement lorsqu'on approche une source de neutrons du détecteur en phase de calibrage... De plus, les deux signaux se trouvent très près du seuil de détection, alors que les neutrons s'"étalent" sur une grande plage...
Dan Hooper poursuit son étude en calculant ce que donnerait comme signal dans le détecteur XENON100  des WIMPs ayant les caractéristiques de celles déduites des données de CoGENT et CDMS. Vous devinez ? Les événements simulés se retrouvent exactement là où se trouvent les deux événements observés!...
A la lecture du papier, on sent l'auteur qui jubile derrière son clavier, on imagine le sourire de celui qui est sûr de lui... Il semble dire aux physiciens de XENON100 : "vous les aviez sous les yeux et vous n'avez rien vu!...".

Dan Hooper note tout de même un point important (et qui a sans sûrement mis le doute aux physiciens de XENON100) : si la masse attendue est la bonne, en revanche le nombre détecté n'est pas du tout conforme. Il devrait y en avoir cent fois plus avec la masse de ce détecteur et la durée du comptage... Qu'à cela ne tienne, Hooper apporte la preuve que tout peut être réconcilié à condition que quelques paramètres du détecteur XENON100, comme l'efficacité de luminescence par exemple, soient corrigés de leurs incertitudes.

Le conteneur de xénon de LUX dans son réservoir blindage (encore vide) (LBNL)
Pour finir son article plus qu'enthousiaste, Dan Hooper se lance dans la prédiction. Sachant qu'une expérience s'appelant LUX, utilisant elle aussi le xénon liquide, mais avec une masse beaucoup plus importante que XENON100 (350kg au lieu de 100 kg) et avec une efficacité de détection de la lumière de scintillation bien meilleure, est en train de démarrer aux Etats-Unis, il calcule le nombre de "candidats" WIMPs qu'elle devrait détecter. Le nombre est fabuleux : entre 3 et 24 par mois (oui, par mois!).

Je propose donc à toutes les expériences de recherche directe de matière noire d'envoyer très vite la totalité de leurs données à D. Hooper, Fermi National Accelerator Laborator, Batavia, Illinois en attendant l'annonce fracassante dans quelques mois. Peut-être arriverait-il à avancer la date ?


Référence :

Revisiting XENON100's Constraints (and Signals?) For Low-Mass Dark Matter
Dan Hooper
http://arxiv.org/pdf/1306.1790.pdf (7 juin 2013)

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