vendredi 31 août 2012

Un Système Binaire Extraordinaire

L'actualité voudrait que je vous raconte que Kepler vient de faire une nouvelle découverte passionnante, rendez-vous compte, un système planétaire qui tourne autour de deux étoiles (un système binaire). Mais comme vous le savez, je l'ai déjà évoqué ici,  la découverte de nouveaux systèmes planétaires, fussent-ils autour d'un couple d'étoiles, n'est pas très intéressant en soi, étant donné qu'il en existe des milliards, et que les étoiles vivent principalement en couple, il n'y a donc rien de très étonnant dans l'observation de Kepler-47, si ce n'est le début d'une longue série de découvertes du même genre qui vont se succéder à un rythme toujours plus soutenu.

Vue très artistique! du système produisant des ondes gravitationnelles
C'est d'un autre système binaire dont je vais vous parler et d'une découverte bien plus intéressante, à savoir la mise en évidence d'ondes gravitationnelles produites non pas par un couple de trous noirs, comme on pourrait s'y attendre mais par un couple de naines blanches (l'histoire ne dit pas si des planètes gravitent autour de ce système).

Les ondes gravitationnelles sont une manifestation de l'espace-temps tel qu'il est décrit par la théorie de la relativité d'Einstein. Elles n'ont encore jamais été observées de manière directe, mais on peut en mesurer l'existence de manière indirecte. C'est ce qui vient d'être fait par une équipe d'astronomes américains.
Que faut-il pour produire de telles vibrations de l'espace-temps ? Il faut des objets compacts (denses) en mouvement rapide, c'est tout. Les prédictions théoriques montrent que les meilleurs candidats à la production d'ondes gravitationnelles sont ainsi des couples d'étoiles à neutrons ou de trous noirs stellaires, qui par leur rotation très rapide l'un autour de l'autre peuvent produire ces vagues tout en perdant de l'énergie gravitationnelle. Ils tombent inexorablement l'un sur l'autre.
Le système binaire de naines blanches J0651, situé à seulement 3000 années-lumières de nous, a été découvert l'année dernière par des astronomes du Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics et a été étudié depuis en mesurant la rotation des deux étoiles l'une autour de l'autre.
Ce système est extrêmement serré, imaginez : les étoiles sont séparées par seulement un tiers de la distance Terre-Lune, soit environ 150 000 kilomètres, une broutille à l'échelle stellaire. C'est mille fois moins que la distance qui nous sépare du Soleil. Et elles sont si étroitement serrées qu'elles tournent l'une autour de l'autre en seulement 13 minutes! Il y a ainsi une éclipse toutes les 6 minutes.
J.J. Hermes et ses collaborateurs ont montré, en mesurant le temps séparant chaque éclipse, que cette durée ne cessait de diminuer. Par rapport aux premières mesures effectuées en avril 2011 lors de la découverte du système, les éclipses actuelles arrivent déjà 6 secondes plus tôt. En perdant de l'énergie par émission d'ondes gravitationnelles, les étoiles se rapprochent et leur rotation s'accélère, ce qui produit la diminution observée de l'intervalle entre deux éclipses.
J0651 va donc devenir une cible de choix pour les instruments de mesure d'ondes gravitationnelles qui essayent d'en détecter directement, tant bien que mal, sur Terre, comme les expériences VIRGO ou LIGO. Les astrophysiciens menés par Hermes vont quant à eux poursuivre leurs mesures de périodes de rotation sur J0651, en espérant pouvoir observer une accélération toujours plus marquée et évaluer l'énergie gravitationnelle perdue avec toujours plus de précision.

Malheureusement, on ne devrait pas pouvoir assister dans un avenir proche à la fusion (inéluctable) des deux étoiles, cette fusion devant avoir lieu dans environ 2 millions d'années au rythme actuel... 

Source :
Rapid Orbital Decay in the 12.75-minute WD+WD Binary J0651+2844
J. J. Hermes et al.
ArXiv, soumis à Astrophysical Journal Letters

vendredi 24 août 2012

Les Trous Noirs Oscillent Aussi...

On le sait ici, les trous noirs sont parmi les plus étonnantes prédictions de la théorie de la relativité générale d'Einstein. Pris seuls, les trous noirs peuvent être décrits simplement par leur masse et leur rotation (spin). Il sont invisibles, sauf lorsqu'ils se nourissent de gaz environnant, voire d'étoiles entières, qu'ils peuvent complètement déchirer par les forces de marées qu'ils provoquent.

Les trous noirs supermassifs peuvent atteindre plusieurs dizaines de millions et jusqu'à plusieurs milliards de masses solaires. De tels événements de désintégration d'étoiles par des trous noirs supermassifs ont été observés seulement à quelques reprises. Récemment, une nouvelle observation de ce type a été rapportée par l'astronome R. Reis et ses collaborateurs. Cet événement, qui a été mesuré grâce au satellite Swift, porte le doux nom de Sw J1644 57.
Et cette observation apporte une jolie particularité : le signal de rayons X observé possède une oscillation cohérente statistiquement significative.

Le signal oscille avec une fréquence de 0.005 Hz. C'est faible vous allez me dire. Mais pas pour un trou noir supermassif. En fait cette fréquence est si "élevée" qu'on en déduit que cette émission est due à un processus physique qui a lieu tout près de l'horizon des événements du trou noir.
Vue d'artiste du phénomène d'OQP (Science)
Et c'est là que ça devient passionnant, car qui dit proximité de l'horizon, dit très fort champ de gravité. Ces observations d'oscillations quasi-périodiques (c'est comme ça qu'on les appelle), pourraient donc permettre de tester la relativité générale dans un environnement encore jamais atteint de très forte courbure de l'espace-temps...

Des oscillations quasi-périodiques ont déjà été étudiées dans des binaires X, systèmes contenant une étoile compagnon et un objet compact comme une étoile à neutron ou un trou noir stellaire. Les plus hautes fréquences observées dans ces objets avoisinaient les 450 Hz pour l'objet GRO 1655-1640 (on parle alors d'oscillations quasi périodiques à haute fréquence).

Concernant les trous noirs supermassifs, un seul cas d'oscillation à haute fréquence a été rapporté, dans l'objet RE J1034 396. Notre trou noir supermassif à nous, Sgr A* ne montre malheureusement pas d'oscillations dans son signal X.

Les oscillations quasi-périodiques (OQP) sont classifiées "haute fréquence" ou "basse fréquence" en fonction de la fréquence attendue compte tenu de la masse de l'objet. Une OQP est de type OQP-HF quand la masse du TN implique que l'OQP est produite à proximité de l'objet compact.

Le trou noir supermassif à l'origine de l'observation de Reis et al. est estimé avoir une masse de plusieurs millions de soleils. Si on échelonne la fréquence avec l'échelle naturelle de temps gravitationnel, l'OQP observée est proche des OQP observées ayant les plus hautes fréquences dans les systèmes binaires X, ce qui donne une certaine cohérence pour les OQP-HF sur plus de 5 décades en masse pour les trous noirs. Cela veut aussi dire que ces événements de déchirement d'étoile par effet de marée indiquent les mêmes phénomènes physiques de forte gravité que ceux observés dans les petits systèmes binaires.

Le nouvel événément Sw J1644 57, venant après le précédent RE J1034 396, tend à suggérer que les OQP pourraient être communes à tous les trous noirs supermassifs. Nous connaissons aujourd'hui moins de 10 OQP-HF sur une vingtaine de binaires X dans notre galaxie.

La possibilité de découvrir beaucoup plus de OQP-HF dans les nombreux trous noirs supermassifs au-delà de notre galaxie offre l'espoir de mieux comprendre comment les OQP-HF sont générés. En effet, ces nouvelles observations suggèrent que le processus physique produisant les OQP-HF est commun aux petits et aux très gros trous noirs.

Pour pouvoir ensuite exploiter ces oscillations quasi-périodiques de rayons X, il faut comprendre la physique des phénomènes qui les ont produits.
Des calculs divers proposent plusieurs modèles, reposant tous bien sûr ce que l'on croit déjà connaitre de la façon dont la matière environnante interagit avec un trou noir.
Une partie du plasma forme un épais disque en rotation tandis que d'autres matériaux sont éjectés dans un "vent" ou un jet relativiste. Certains modèles d'OQP suggèrent que le disque se comporte à la manière d'une dynamo semi-rigide produisant des oscillations magnétiques. D'autres modèles suggèrent que c'est l'interface
entre le disque et les jets qui produit les oscillations observées.

Une fois bien compris l'origine de ce phénomène, l'espoir des chercheurs est de pouvoir l'exploiter pour en déduire des paramètres cruciaux comme la masse du trou ainsi que sa vitesse de rotation, et pourquoi pas, cerise sur le gâteau, tester la relativité générale en conditions extrêmes de très forte gravité...

Les oscillations quasi-périodiques de haute fréquence sont ainsi un nouvel outil potentiellement puissant dans les mains des astrophysiciens, qui ne manqueront pas de s'en servir, en l'ajoutant à leur trousse à outils spéciale Trous Noirs qui s'enrichit de jours en jours.


Sources :

A 200-Second Quasi-Periodicity After the Tidal Disruption of a Star by a Dormant Black Hole
R. C. Reis et al.
Science Vol. 337 no. 6097 pp. 949-951 (24 August 2012)

Probing Black Hole Gravity
J.C. McKinney
Science  Vol. 337 no. 6097 pp. 916-917 (24 August 2012)

jeudi 23 août 2012

Beaucoup Plus de Matière Sombre que Prévu Autour du Soleil

Des astronomes suisses de l'Université de Zurich et leurs collègues anglais et chinois viennent de découvrir de grandes quantités de masse invisible  dans les environs du Soleil. Leurs résultats sont cohérents avec la théorie prédisant que la Voie Lactée est entourée par un immense «halo» de matière sombre, mais cette étude est une première du genre. Elle a consisté à utiliser une méthode de mesure de masse rigoureusement testée sur des données simulées de notre galaxie avant d'être appliquée sur des données réelles. 

L'hypothèse d'une masse manquante a été proposée par l'astronome suisse Fritz Zwicky en 1933. Il avait constaté que les amas de galaxies étaient remplis d'une masse invisible, qui était la seule à expliquer leur dynamique. Environ au même moment, Jan Oort aux Pays-Bas découvrait que la densité de matière au voisinage du Soleil était près de deux fois ce qui pouvait être expliqué  par la présence d'étoiles et de gaz seuls. Quelques décennies plus tard, les astronomes ont développé peu à peu une théorie de la matière sombre qui explique les propriétés des amas et des galaxies dans l'Univers, mais la quantité de matière sombre dans le voisinage solaire est restée un peu mystérieuse. 

Simulation des masses dans la voie lactée (credit A. Hobbs)
Depuis la mesure de Oort, des études avaient montré 3 à 6 fois plus de matière sombre que prévu. Puis l'année dernière est arrivée une nouvelle étude revendiquant beaucoup moins de matière sombre que prévu... La communauté est restée quelque peu perplexe sur cette étude, mettant en doute à la fois la méthode utilisée et la fiabilité des mesures. (voir ici et ).
Dans cette dernière étude suisse publiée dans le prestigieux Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, les auteurs sont beaucoup plus confiants dans leur mesure et les incertitudes associées. Cette confiance provient du fait qu'ils ont utilisé une simulation de notre Galaxie du dernier cri afin de tester leur technique de mesure de masse avant de l'appliquer à des données réelles.


Cette méthode leur a également apporté un certain nombre de surprises. Ils ont pu notamment constater que les techniques standard utilisées au cours des 20 dernières années étaient biaisées, rien de moins, avec toujours une tendance à sous-estimer la quantité de matière sombre.

Ils ont ensuite mis au point une nouvelle technique statistique impartiale qui permet de retrouver la bonne réponse à partir de distributions de masse simulées.
En appliquant leur technique pour les positions et les vitesses des milliers d'étoiles naines oranges de type K au voisinage du Soleil, ils obtiennent alors une nouvelle mesure de la densité de matière visible et de matière sombre locales.

credit : Silvia Garbari

L'auteur principal, Silvia Garbari affirme qu'il y a une chance sur 10 pour que l'effet observé ne soit qu'un hasard statistique. Mais à 90% de confiance, on trouve plus de matière sombre que prévu... Et pas qu'un peu ! La valeur antérieure (ou encore actuelle si vous voulez) est de 0.008 masses solaires par parsec cube, soit 0.30 GeV/cm3, et la nouvelle valeur de densité de matière sombre vaut 0.022 masses solaires par parsec cube, soit 0.85 GeV/cm3. Presque trois fois plus!

Si les données futures confirment cette valeur élevée, les conséquences peuvent être très intéressantes. Cela pourrait être la première preuve d'une répartition différente de la matière sombre dans la voie lactée : l'existence d'un "disque" de matière sombre au centre du halo, comme il a récemment été prédit par la théorie et des simulations numériques (là encore!) de la formation des galaxies, ou bien le fait que le halo de matière sombre de notre galaxie soit un peu écrasé (ce qu'on appelle une forme oblate, augmentant la densité de matière sombre locale.

Une mesure précise de cette densité de matière sombre locale est vitale pour les expériences de recherche directe de WIMPs comme XENON100 ou EDELWEISS, qui ont besoin de connaitre quelques propriétés des particules qu'elles cherchent à détecter - comme leur densité locale - , histoire de savoir à quoi s'attendre.


Source :
A new determination of the local dark matter density from the kinematics of K dwarfs
S. Garbari et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society
Volume 425, Issue 2, pages 1445–1458, 11 September 2012

mercredi 22 août 2012

Des Exoplanètes Parfaitement Alignées

La structure de notre système solaire, avec ses 8 planètes en orbite autour du Soleil à peu près dans un même plan géométrique, nous est assez familier. Le modèle standard de la formation du système solaire fait l'hypothèse que le Soleil et les planètes se sont formés dans un disque de gaz en rotation. La formation planétaire dans un disque plat produit naturellement des orbites qui sont étroitement alignées dans un même plan géométrique. Mais nous ne savons pas encore si notre système solaire est typique des systèmes planétaires en général. 

Vue d'artiste du système Kepler-30 et de la tache stellaire (Nature).
En explorant les systèmes exoplanétaires, la mission Kepler de la NASA est en train de transformer notre compréhension de la formation et de l'évolution des systèmes de planètes orbitant des étoiles. Kepler vise une catégorie particulière de planètes, celles qui transitent devant leur étoile. Sanchis-Ojeda et ses collaborateurs rapportent dans le numéro 487 de Nature un cas très intéressant de système exoplanétaire, Kepler-30, qui apporte des informations fondamentales.
Ce système comporte pas moins de trois planètes. Les chercheurs américains sont parvenus à montrer que l'ensemble des trois planètes transitent dans ce système exactement dans le même plan, à l'intérieur d'un seul petit degré d'inclinaison angulaire. Cet arrangement très serré dans Kepler-30 est à rapprocher bien sûr de notre propre système solaire.
Il apparaît que la différence maximale en inclinaison entre plusieurs planètes en transit est fortement liée à la taille de leur étoile, ainsi qu’à leur distance de l'étoile. Plus l’étoile est petite et la distance de la planète grande, plus la probabilité de voir les planètes dans le même plan est grande.

Si elles ne se trouvent pas dans le même plan, on ne peut pas les voir toutes transiter… Mais une des rares exceptions est le cas où les inclinaisons mutuelles des orbites des planètes sont grandes, mais leurs plans orbitaux se croisent dans une ligne de nœuds qui pointe vers la Terre. La probabilité est infime…

Sanchis-Ojeda et al. ont poussé un peu plus loin cette astuce géométrique. Il se trouve que l’étoile du système Kepler-30 est magnétiquement active et couvertes de taches stellaires, des régions qui sont plus sombres et plus froides que le reste de la surface de l'étoile, comme celles que nous connaissons sur notre Soleil.
Les auteurs ont constaté, avec étonnement, que les trois planètes de Kepler-30 transitaient sur la même tache stellaire. Ils ont vu le phénomène à plusieurs reprises. Et parce que la tache stellaire est beaucoup plus petite que l'étoile elle-même, la régularité observée exige que les orbites planétaires soient alignées de très très près, mais aussi qu’elles soient alignées avec le plan de rotation de l'étoile !
Ils ont pu ainsi en déduire que, tout comme notre système solaire, les planètes de Kepler-30 se sont formées par un disque de gaz en rotation.
Il faut rappeler que toutes les planètes extrasolaires ne sont pas forcément alignées sur le plan de rotation de leur étoile. Le fait que certaines orbites planétaires peuvent être parfaitement alignées avec le plan de l'équateur de leur étoile, tandis que d'autres sont extrêmement mal alignées, montre que nous avons encore beaucoup à apprendre sur la formation et l'évolution orbitale des planètes.

Avoir trouvé des planètes qui s'alignent avec des taches stellaires peut sembler comme une chance inouïe. Mais à coup sûr, cette technique aujourd’hui singulière deviendra une technique standard d’étude (on ne parle même plus de découvertes) des systèmes exoplanétaires dans le futur.


source : 
Alignment of the stellar spin with the orbits of a three-planet system
R. Sanchis-Ojeda et al. 
Nature 487,  449–453 (26 July 2012)

jeudi 16 août 2012

15 ans de Rovers Martiens

En 15 ans, l'exploration de Mars n'a eu de cesse de progresser technologiquement, et aussi en taille, regardez plutôt cette petite composition/comparaison des trois générations de rovers :


Merci à @animatedphysics pour cette image!

mercredi 15 août 2012

La mélancolie du Dobson

Combien de nuits passées sans toi, combien de temps passé sans t'avoir transporté, fixé sur ton rocker, combien de nuits se sont écoulées sans t'avoir à nouveau collimaté ? Combien de temps ?

Combien de nouvelles lunes ai-je laissé passées malgré ce ciel d'azur interminable ? Trop sans aucun doute, trop de nuits, trop de jours, trop de semaines... Me voilà passé de Kepler à Tycho Brahé, l’œil comme seule arme d'observation depuis trop longtemps, trop d'occupations annexes, trop de fatigue peut-être ?

Mais désormais, tu pourras plus facilement être exploité tout près de ta zone de stockage, mon cher Dobby, nouvelle demeure, nouveau terrain plus propice, au moins pour le ciel pas trop profond!

Promis, dès le retour du camping, je te sors de ton tout nouveau garage...






Dobson Sky Watcher 254 mm F/4.7 TV Nagler 13 mm, TV Nagler 3.5 mm, HR planetary 5 mm, Plössl 10 mm, Plössl 25 mm, Barlow TV x2 filtres Moon et OIII, Guided by Telrad

mercredi 1 août 2012

Des Planètes Habitables grâce à la Matière Sombre

Dan Hooper est un physicien amusant. Ce chercheur du Fermilab et de l'université de Chicago s'intéresse à la recherche de matière noire (pardon, de matière sombre) sous forme de particules massives interagissant faiblement avec la matière ordinaire.  Et comme il est amusant, il s'amuse à faire des calculs qui peuvent parfois donner à sourire. En partant de certaines hypothèses, par définition hypothétiques, il en déduit des résultats assez incroyables, voire à la limite de la réfutabilité et donc de la science.
 
Sans aller jusque-là (quoique), l'un de ses derniers papiers, publié la semaine dernière dans le Journal of Cosmology and Astroparticle Physics, assez friand de ce type de publications je dois dire, s'intitule « Dark Matter and the Habitabily of Planets ».

Hooper démontre que sous certaines conditions, des planètes peuvent produire suffisamment de chaleur interne par l'annihilation de WIMPs pour avoir de l'eau liquide à leur surface, et ce, sans avoir aucun besoin d'une source de chaleur externe comme une étoile. En gros, la matière noire (pardon, sombre) pourrait permettre l'existence de la vie dans l'Univers sans besoin d'étoiles.

Mais revenons à ce calcul théorique, bien évidemment invérifiable expérimentalement. Comme on le sait, la masse totale de matière sombre est considérable et représente un réservoir d'énergie non moins considérable, environ 1000 fois plus que l'énergie totale pouvant être produite par fusion de l'hydrogène dans toutes les étoiles de l'Univers. Considérable, donc. La seule façon existante pour que ces WIMPs émettent de l'énergie, c'est en s'annihilant, c'est-à-dire, étant leur propre antiparticule, lorsque deux WIMPs se rencontrent, elles produisent deux photons gamma dont l'énergie est égale à l'énergie de masse des particules initiales, qui, elles, disparaissent.
Et comme vous le savez sans doute, les WIMPs ont une masse assez importante (qu'on ne connait toujours pas), et son donc liées gravitationnellement avec tout ce qui possède une masse : elles sont attirées par d'autres masses, comme vous et moi, mais aussi (et surtout) les étoiles, ainsi que les planètes.

C'est là que ça devient intéressant. Des WIMPs peuvent ainsi être capturées à l'intérieur de planètes en restant liées gravitationnellement à l'intérieur de la croûte (rocheuse, particulièrement), en formant une sorte de halo interne qu'on imagine en rotation.
Et plus il y a de WIMPs capturées de la sorte, plus leur probabilité de se rencontrer est importante, avec à la clé production de rayons gamma. Les rayons gamma qui seraient ainsi produits à l'intérieur de la planète vont interagir classiquement comme tous les rayons gamma que nous connaissons bien et vont être absorbés et produire des ionisations ou des paires électrons-positrons, qui à leur tour feront de nouvelles ionisations, etc… C'est au final une augmentation de la température du milieu qui apparaît.
Hooper a donc commencé par calculer ce que ça donne avec notre bonne vieille Terre avec toutes ses caractéristiques. Et il trouve que la chaleur produite n'est seulement que d'un milliardième de celle nous arrivant du soleil, autant dire, rien.
Puis il a fait le calcul de toutes ces étapes en prenant  de nombreuses hypothèses sur la nature de la planète, le flux de WIMPs, la localisation de la planète au sein d'un halo galactique de matière sombre, et il en arrive à la conclusion que pour une planète rocheuse de même composition que la Terre avec un noyau de fer, mais qui aurait une masse de l'ordre de 10 fois celle de la Terre, positionnée dans un halo de galaxie à environ 10 parsecs (33 années lumières) du centre galactique, ou bien dans le cœur d'une galaxie naine sphéroïdale, là où la densité de WIMPs est 1000 fois plus importante que par chez nous et où la vitesse des WIMPs est aussi plus faible (facilitant leur « capture »), la température de surface peut finalement dépasser la barre fatidique des 273 kelvins et donc permettre à de l'eau d'être liquide.
Ce phénomène pourrait notamment concerner des planètes rocheuses très éloignées de leur étoile, ou bien des planètes errantes qui ne sont plus en orbite autour d'une étoile.
Hooper fait en outre la remarque judicieuse que non seulement ce type de planète n'a pas besoin d'étoile pour se chauffer, mais aussi possèderait une source d'énergie interne infinie ! En effet, la matière sombre dans ce scénario est toujours présente et partout, la production de chaleur interne est donc assurée pour l'éternité, même quand toutes les étoiles seront éteintes…
On le voit, la matière sombre a décidément de nombreux intérêts de nos jours, et pas seulement pour nourrir l'imagination fertile des physiciens théoriciens. Ne reste plus maintenant qu'à trouver les bons ingrédients organiques dans les mares d'eau à la surface de ces super-Terres, qui, elles, ne sont  pas si hypothétiques que cela…

Source :
Dark matter and the habitability of planets
Dan Hooper, Jason H. Steen
Journal of Cosmology and Particle Physics  07 (2012) 046